Comme il l’est dit sur un de mes pulls à capuche préféré : « tout change ».
Et donc nous revoici en terre moyenne-orientale, pour un xième billet sur le conflit israélo-palestinien.
Pour Le nettoyage ethnique de la Palestine, je n’ai heureusement pas besoin de prendre de gants, tant le titre est sujet à controverse, au propre comme au figuré.
Contextualisons : Pappe est un historien israélien (à l’époque membre du parti communiste israélien et juif), qui après quelques livres sur le conflit et la question israélo-palestinienne, s’est fait remarquer par son soutien à Teddy Katz lors de l’ « affaire Tantoura ». Juste pour positionner un peu le bonhomme.
A la suite de tout ça, il a publié Le nettoyage ethnique…, qui lui aurait valu de ne pas se sentir vraiment à l’aise en Israël, et il s’est donc exilé en Angleterre, où il continue, entre autres, à enseigner l’histoire…
L’histoire du malaise et plutôt compréhensible, quand on sait qu’au sujet de son thème de prédilection, la situation est la suivante (en gros et à peu de choses près) :
A la suite de l’établissement de la nation israélienne, un mythe fondateur a tenu bon jusqu’à l’ouverture des archives de l’IDF plutôt récente, qui dépeignait la Palestine comme un désert aride quasi-vide de toute population, et que celle qui s’y trouvait n’a fui que sur ordre des puissances jordanienne, syrienne et égyptienne environnantes.
A la suite de l’ouverture des archives (ne vous inquiétez pas cette introduction est bientôt finie), tous (sauf quelques individus peu recommandables d’un avis plus ou moins général) s’accordent à dire qu’à partir de 1948, des massacres ont été commis sur les populations autochtones (qui donc ont existé), les contraignant à fuir.
Là où l’ouvrage de Pappe pose problème à certains, c’est qu’en faisant mention de la notion de « nettoyage ethnique », il implique que les massacres et l’expulsion des Palestiniens ne sont pas le fruit des hasards de la guerre (thèse soutenue principalement par Benny Morris), mais d’une stratégie pleinement consciente faisant partie intégrante du projet de colonisation de l’alya (particulièrement à partir de 1919 et qui culminera avec le plan Dalet en 1948) au Moyen-Orient et que, si ses dirigeants n’ont pas prononcé de vive voix les mots fatidiques, leurs attentes et leur positionnement étaient limpides. Comme source, tristement, les passages non expurgés du journal de David Ben-Gurion sont plutôt parlants, ainsi que laissent songeur les opérations financières et immobilières de Yossef Weiz au sein du KKL (dont les initiatives de reboisement actuelles laissent un peu perplexe) ; enfin, entres autres, Moshe Dayan et Ariel Sharon sont aussi à l’index des noms de personnages israéliens dont l’ardeur guerrière a fait des héros nationaux.
En plus de ces sources sujettes à une interprétation relative, Pappe utilise énormément deux sources très critiquées: les rapports et archives militaires d’une part (qu’ils soient israéliens, et souvent truffés d’une novlangue pour le moins inquiétante, ou arabes, et, semblerait-il, sujets à des exagérations), et d’autre part les témoignages oraux.
Cependant, vu le trouble de cette période, et devant le peu de sources d’informations concrètes et vérifiables, mais aussi devant le recoupement de certains témoignages, si l’on prend en compte certaines pratiques assez discutables (le prémentionné KKL, et ses initiatives de reforestation en plein sur les villages rasés sans aucune mention de ces derniers sont possiblement de malheureux oublis), etc., le livre de Pappe est singulièrement crédible. Du coup, il ne s’agit évidemment pas d’en faire un acte d’accusation, mais plutôt un prisme supplémentaire à travers lequel voir une période qui, du moins pour moi, n’est vraiment, vraiment pas claire (finalement, comme cet article).
PAPPE, Illan. Le nettoyage ethnique de la Palestine. Paris, Fayard, 2008. 394 p.